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Petit livre court, précis, soigneusement élaboré. Une tragédie avec tous ses ingrédients : personnages enchaînés par le devoir, amour salvateur mais impossible, dénouement tragique. La fatalité est à l’œuvre.

L’intrigue se situe dans un petit bourg reculé de la Nouvelle Angleterre. Les habitants descendent des colons puritains qui ont fui l’Angleterre anglicane au 17 ème siècle à la chute de Cromwell, ils forment une petite communauté pauvre à la religion austère. Tout est accablant, la vie est difficile, les êtres sont frustes, taiseux.

Ethan, le héros, passe la mesure du malheur : une ferme et une scierie pas rentables, un mariage malheureux avec une femme hypochondriaque acariâtre et perfide. De surcroit, sa boiterie révèle un événement tragique soigneusement refoulé. 

Et l’amour surgit : Mattie, l’instrument du destin, joyeuse, spontanée, libre !

« Il avait toujours été sensible plus sensible que les gens qui l’entouraient aux charmes de la nature… Il ne savait même pas si qui que ce fût au monde ressentait la même chose que lui, ou s’il était la seule victime de ce mélancolique privilège. Puis il apprit qu’un autre esprit avait frémi du même émerveillement, qu’à son côté, vivant sous son toit et mangeant son pain, était un être auquel il pouvait dire : c’est Orion qui est tout là-bas, le grand gaillard à droite est Aldebaran et ce bouquet de petites étoiles – comme un essaim d’abeilles – ce sont les Pléiades. » 

 « Il parut à Ethan… que des mots avaient été trouvés enfin pour exprimer le secret de son âme. » 

Mais Ethan est prisonnier à vie, il lui est impossible de se libérer pour vivre son amour. Et Mattie, chassée de la ferme, poussée sans emploi vers la ville, n’a aucun avenir seule. 

C’est elle qui susurre l’ultime solution à l’oreille d’Ethan: « Droit dans le gros orme. Tu as dit que tu pourrais. De sorte que nous n’ayons plus jamais à nous quitter. »… « Sa sombre violence l’entraîna : elle semblait être l’instrument incarné du destin. »

Certains diront que ce livre est trop noir. Edith Wharton y donne encore la preuve de son talent, de son art de la construction romanesque, de la finesse de ses observations psychologiques et de leur expression littéraire. Elle sait décrire les variations de l’âme: devoir, mélancolie, amour, émerveillement du partage, jalousie, haine, désarroi, détresse. Lorsqu’elle écrit ce roman, elle a déjà passé des années auprès d’un mari névrosé et violent et traversé des épisodes dépressifs, elle a pris la décision difficile de le fuir, puis elle a partagé une liaison amoureuse faite de joies et de douleurs. Tout cela dans une société et à une époque peu permissives. Cette fois, elle sort de son milieu ultra privilégié pour s’intéresser à une micro société défavorisée. Là aussi, elle sait déceler et décrire la face sombre soigneusement cachée de l’ordre social. Et l’on constate que les machinations sont analogues, que l’invisible poison y ronge tout autant les relations humaines. 

Catherine Finaz-Piketty

Café Littéraire de Valréas

30 septembre 2021