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Introduction de Françoise Autin au Café Littéraire du Printemps des Poètes le 05 mars 2017 à Taulignan

Je vous présente tout d’abord nos intervenants :  Francis Julienpont parlera d’Eloges, Joëlle Julienpont en lira des extraits et Pierre-François Plouin se consacrera à Anabase. Avant de leur donner la parole, je veux proposer  quelques clés pour aborder l’œuvre de Saint-John Perse.
Sa vie tout d’abord. Les différents pays où il a vécu, ses exils successifs  et la proximité presque constante  de l’océan sont omniprésents et transparaissent dans son ɶuvre.
Son discours de Stockholm en 1960, à l’occasion de la remise du prix Nobel,  donne de sa poésie des définitions. Elle est puissance et novation qui déplace les bornes. L’amour est son foyer, l’insoumission sa loi et son lieu est partout. Une même fonction s’exerce pour l’entreprise du savant et celle du poète : explorer l’Obscur, trouver l’Eclat. L’interrogation est la même, qu’ils tiennent sur un même abîme et s’apparente à une quête métaphysique.
Il dit encore que le travail du poète est minutieux et quotidien. Cela nous amène à relire les notes personnelles de Lilita, alias Rosalia Abreu, qui fut sa muse de 1932 à 1948, date de sa rupture avec le poète, mais qui continuera à l’inspirer jusqu’à sa mort et reste omniprésente dans toute la rédaction d’Amers.
Elle nous dit : les poèmes de Saint John Perse sont très clairs à qui sait s’identifier à eux, à qui connaît quelques réalités sous-jacentes. Ils ont leurs racines dans  des petits faits très réels auxquels il donne une résonance inattendue, qu’il assemble de façon mystérieuse, parfois mystifiante, dans le but de dépayser son lecteur, de l’envoûter et de l’emporter avec lui a travers les espaces d’une trame musicale qui lui fera percevoir intuitivement, peut-être par osmose, ce que son esprit ne saurait saisir directement.
Elle développe magnifiquement ces propos dans son explication du Poème à l’Etrangère, conçu pour elle pendant l’été 42, et sur lequel nous reviendrons lors de notre prochaine rencontre à Dieulefit le 18 mars.
Ces propos : assembler des mots de façon mystérieuse ou mystifiante évoquent l’écriture automatique et les rêves éveillés. De plus, de nombreuses images semblent sorties du film de Bunuel Le Chien andalou  ou d’un tableau de Salvador Dali. Alors se pose la question : Saint John Perse est-il un surréaliste ?

Dieulefit, 18 mars 2017 à la Galerie Craft

Françoise Autin lit Poème à l’Etrangère de Saint-John Perse.
La place de l’Etrangère dans l’œuvre de Saint-John Perse est à la fois discrète et omniprésente dès leur rencontre en 1932. Mais qui est-elle, celle que le peintre Edouard Vuillard nomme « Madame » au bas de cette toile exécutée durant l’été 1935 dans le salon d’un hôtel particulier rue de l’Université à Paris en  présence de Jean Giraudoux ? Celle dont Paul Morand dit dans ses mémoires que  » toute la bande de la NRF, de Jacques Rivière à Alain Fournier, en étaient épris… »
Elle se nomme Rosalia  Abreu. On l’appelle LIlita. Saint-John Perse la nommera Liu, mon Liu, ce mot chinois qui désigne le jade, vert comme yeux de l’Etrangère… Elle est née à Cuba en1886, a été élevée tantôt aux Antilles, tantôt à Paris où elle se marie avec Albert Sancholle Henraux, dit Adal, en 1921 et rencontre Saint-John Perse à un dîner chez son amie Yvonne Gallimard. C’est le début d’une longue liaison qui doit rester secrète « Jurez de ne mêler jamais rien de tout cela ni de vous même au bavardage de Paris » ( 20 mai 1932 ).
Ils se disent jumeaux. « Mon Liu qui n’a pas été tiré de ma côte mais qui m’a été donné … pour que nous ayons jusqu’à notre mort à sourire de cette étrange alliance, bien mieux de cet étrange alliage qui nous fait incestueux… » Et elle d’évoquer cette mer qui les entoure, les berce « Et la mer, et les chants exotiques ont bercé notre enfance… » En 1941-42 ils vivent tous deux dans le quartier de Georgetown « quartier de nègres et d’asiates », dans cette maison de bois qui penche sous les frondaisons verte des grands arbres dont l’ombre est si dense que les lampes restent allumées en plein midi. Tout cela, elle le raconte simplement à son frère Pierre dans une lettre du 8 août 1943, expliquant ainsi ce Poème à l’Etrangère que Saint-John Perse écrit alors et que ses amis américains feront bientôt publier.

Les sables ni les chaumes n’enchanteront le pas des siècles à venir, où fut la rue pavée d’une pierre sans mémoire – ô pierre inexorable et verte plus que n’est le sang vert des Castilles à votre tempe d’Etrangère !

Souffrant dans cet exil où elle a voulu le rejoindre de ses nombreuses absences (il part souvent chez l’un ou l’autre des ses amis tantôt sur une ile privée, tantôt sur le bateau d’une de ses riches admiratrices) alors qu’en 1946 elle a dû accepter un divorce avec Adal, elle finira par rompre en 1948, ce à quoi il ne s’ attendait nullement. « Quand je pense à tout ce que j’ai voulu de moi  pour toi, tout ce que j’ai cru atteindre entre nous deux… » et, le 4 juillet 1949, « Je porte au fond du cœur une peine affreuse de ton silence, un silence si total et subit… Et contre le pire de la vie ne sommes nous pas à jamais liés de cet étrange lien secret qui est le lien d’Alan et Liu… dans ce monde où notre loi n’est pas celle des autres. »
Dans une lettre précédente, en mai 1947, il évoquait l’écriture d’Amers «  Je me suis remis au travail… une œuvre peut-être trop ambitieuse mais dont j’attends beaucoup et en laquelle j’ai foi. »   En juillet, il dit: « J’ai accroché ma carte des Antilles et je souris à travers mes plus lointaines pensées à nos deux îles voisines dont la parenté symbolise un peu notre étrange alliance… un singulier destin que celui qui rapproche nos deux fronts… Je reprendrai cette grande œuvre lyrique… »
Alors quoi de plus naturel  que de reconnaître Lilita dans les pages d’Amers

… et sur la pierre asexuée où croissent les yeux de l’étrangère …. celle qui porte l’oubli des lampes à midi  Celle qui passe toute promesse, étant promesse d’étrangère.

… femme plus fraîche que l’eau verte.

N’est-ce pas à elle en allée qu’il dédie cet immense poème lorsqu’il écrit alors que

… l’étoile apatride chemine dans les hauteurs du siècle vert.

… Et ma prérogative  sur les mers est de rêver pour vous ce rêve du réel… Ils m’ont appelé l’Obscur, et j’habitais l’Eclat

et plus loin : « O mon amour au goût de mer… », n’est-ce pas simplement celle qui venait d’une île voisine de la sienne ?

… Etroits sont les vaisseaux, étroite l’alliance… Vaisseau, mon beau vaisseau… qui s’en va cheminant d’île en île et de l’un à l’autre.

Et cette dernière phrase, comme un écho aux premières déclarations à celle plus âgée de lui d’une année et à qui il se disait lié d’un amour incestueux :

… Ô consanguine et très lointaine, ô toi l’inceste et toi l’aînesse !

Et sur tout cela, toujours,  cette lumière si souvent verte

… j’ai rêvé l’autre soir d’îles plus vertes que nos songes.

qui nous ramène immanquablement à la maison de bois qui penche à moins que ce ne soit au cri d’amour, expression pure du désir de Garcia Lorca : « Te quiero verde! ».

Françoise Autin

Andrée Renard lit des extraits de

Saint-John Perse
Collection La bibliothèque idéale, Gallimard
Parution : 01-01-1962