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Alcibiade, Claude Mossé, François Warin, Hermès, Mystères d'Eleusis
Scène 1. Les transgressions d’Alcibiade
Alcibiade est un héros singulier qui se trouve soudainement mêlé à deux singulières affaires de sacrilèges. Il est alors l’objet de vengeances qui ne tardent pas à faire de lui un coupable idéal. À partir de là, d’Athènes en Sicile et de Sparte jusqu’en Asie Mineure, sa destinée se joue entre intrigues, manigances et trahisons. Dans d’incessantes tensions, les cités grecques et leurs alliés finissent par entrer en conflits. Alcibiade mourra assassiné loin, très loin d’une terre à laquelle, selon les mots d’Euripide, « il avait causé le plus grand tort ».
Alcibiade était ainsi libre de tout faire. La démocratie, pour lui, n’était rien et, vu sa personnalité, par malignité et jalousie, on put l’accuser d’avoir commis deux outrages en lui prêtant l’intention de vouloir effacer le passé et d’imposer sa domination. Par la destruction des Hermes et la parodie des mystères d’Éleusis, il s’en prenait à la cité, en touchait l’âme des citoyens. Les Hermes ornés de Phallus étaient placés dans les carrefours d’Athènes. Ils furent mutilés dans une débauche nocturne. Alcibiade et ses complices furent soupçonnés d’une profanation qui eut, pour lui, des suites très fâcheuses.
Scène 2. Les mystères d’Éleusis
« On s’est … interrogé sur les bienfaits que les initiés retiraient des mystères d‘Eleusis. Et cela portait sur l’âme. On a parfois supposé que l’initiation comportait une promesse de béatitude éternelle. Mais cela pose le problème de la conception que les Grecs avaient de la mort et de l’au-delà … Il faudra attendre la pensée philosophique du IVe siècle, celle de Platon, pour que s’affirme une conception de l’âme immortelle. » (Claude Mossé).
La transgression est l’art de faire bouger les lignes. Elle est souvent confondue avec le fait de contrevenir qui est enfreindre la loi. C’est ainsi que l’âme d’un peuple fut touchée par des sacrilèges imputés à Alcibiade. L’âme est sensibilité. Tout autant que la raison et l’esprit, elle s’oppose au principe de la pensée. Elle perçoit quelque chose et, à partir du moment où, en face d’elle, on touche à des convictions, on abroge ce qui unissait aux croyances.
Scène 3. La parodie
La parodie est une forme d’humour qui utilise le cadre, les personnages, le style et le fonctionnement d’une œuvre pour s’en moquer. Elle se fonde entre autres sur l’inversion et l’exagération des caractéristiques appartenant au sujet parodié. La parodie détruit, annule, déconstruit, mais en même temps conserve, remanie au marteau, dramatise, réévalue… C’est un jeu essentiellement affirmatif qui vise dans le réel ce qu’il y a de plus réel : le manque, le trou, l’absence, pour finalement substituer sans fin à l’Origine défaillante la multiplicité des voiles et des interprétations. Tout le monde a conscience que la vie est parodique et qu’il y manque l’interprétation qui viendrait arrêter le jeu ou la roue d’un monde qui n’a d’autre modèle que lui-même et interdire la circulation infinie des termes qui passent les uns dans les autres pour les mettre, avec ivresse, sens dessus dessous.
Pourquoi Alcibiade parodie-t-il ? Sans doute à cause de sa personnalité et de cette façon arrogante de faire de la politique. La cité a vu une rupture du culte du secret.
« Jadis le secret était au coeur de la vie sociale. Dans la Grèce antique, on louait la sagesse diaphane des oracles qui révélaient des vérités sacrées qu’il convenait d’interpréter, on organisait des Mystères – tels ceux d’Éleusis –, et le secret se mêlait intimement à la vie de la démocratie athénienne, complétant harmonieusement et dialectiquement le jeu de la transparence au lieu de s’opposer à elle. » (François Warin)
Chaque famille avait ses secrets, et nul ne songeait que cette part d’obscurité inhérente à la sphère privée pouvait nuire à l’équilibre psychologique de ses membres. On s’exprimait par calembours, on codait les missives, on tenait des réunions à huis clos, on enfouissait de sibyllins symboles et d’étranges secrets de fabrication dans les traités d’alchimie et personne ne semblait s’en offusquer.
Avant de parodier, quel était l’état d’esprit de la cité et pourquoi avoir voulu mêler Alcibiade à ces affaires ? Nous pouvons supposer que, de toutes les interprétations de Nietzsche sur les «positions dominantes», celle de Georges Bataille est la seule à avoir pris acte d’une situation nouvelle. Toute position de surplomb à l’égard d’une pensée est une sorte de folie de la hauteur – au sens de la célébrité – et elle comporte quelque chose qui a à voir avec la haine. Plus de possibilité de considérer autrui, plus d’absorption.
Entre ce que l’on croit et la perception que l’on a du monde, des failles peuvent nous faire vaciller. À l’époque d’Alcibiade, tout convergeait vers L’Un, le sacré. Parodier n’introduit pas une simple modification de point de vue, il se produit une distinction entre l’Un et ce qui est donné à voir. Cela comporte désormais la notion de défavorable ou de singulier. La parodie a agi sur la conscience, sur l’âme et produit un état contraire à celui de la contemplation. Ce qui nous aspirait se retrouve préoccupant au point de mettre fin à cette contemplation qui était exempte de suspicion.
La parodie est la rupture du Tout rassemblé dans les mystères, dans cette ténébreuse et profonde unité. Désormais, avec la parodie de surcroit, l’Un se divise en deux. À partir de là, ce qui était la vérité, le mystère, l’Un, se trouvant parodié, devient la source d’un accès immédiat à la généalogie des interprétations et des mécanismes de répétitions qui se substituent à l’unité primitive. En fonction de la position que l’on occupe, soit d’admiration devant l’exercice, soit de déni, on ne cesse de répéter. Ce que l’on reprochait à Alcibiade était d’avoir mis en danger la démocratie elle-même, l’unité parodiée faisant vaciller l’Un qui ne cesse de résonner.
Alcibiade comme tant d’autres stratèges, un être au-dessus du monde, l’un de ceux qui font l’Histoire.
Jean Philippe Kempf
Bonjour,
Permettez quelques mots sur les Mystères d’Éleusis. Merci.
LES MYSTÈRES D’ÉLEUSIS
Les Mystères d’Éleusis étaient les plus célèbres de l’antiquité.
On les appelait simplement « les Mystères ». Cicéron dit d’eux :
« Les rites sacrés et augustes d’Éleusis, auxquels des hommes venaient des parties les plus reculées du monde pour y être initiés ».
Ils furent d’abord célébrés exclusivement à Éleusis, mais de là s’étendirent dans presque toute l’Europe.
Dans ces Mystères, on représentait symboliquement la défaite de la Femme. La Déesse Cérès cherchait sa fille Proserpine ravie par Pluton et conduite dans le monde infernal de l’Homme.
Le chef de ces Mystères était appelé Hiérophante ou Révélateur de choses sacrées. Il lui était adjoint trois assistants :
1°) le Dadouchos ou porteur de torche,
2°) le Céryx ou héraut,
3°) le Ho Epi Bono ou secrétaire de l’autel.
On célébrait les grands et les petits Mystères.
Les petits étaient préparatoires, c’était un premier degré qui durait un an. Après ce temps, le candidat pouvait être initié aux grands Mystères, si on l’en jugeait digne.
Un cérémonial imposant faisait comprendre l’importance des grandes vérités qui allaient être dites.
Le Dadouchos ouvrait la cérémonie de l’initiation aux grands Mystères par la proclamation Ekas, ekas este bebêloi (Retirez-vous, ô profanes).
Le profane qui se serait permis d’assister à ces cérémonies était mis à mort immédiatement. C’est par cette sévérité seulement qu’on arriva à sauvegarder la vérité de la profanation des hommes.
On faisait prêter serment à l’aspirant qu’il ne dévoilerait jamais les secrets qui allaient lui être enseignés. On lui posait la question suivante qu’il faut entendre symboliquement :
« Avez-vous mangé du pain ? » (Le pain de vie). A cette question, l’aspirant devait répondre : « Non, mais j’ai bu la mixture sacrée, j’ai été nourri du panier de Cérés. J’ai travaillé. J’ai été placé dans le calathius et le cystus ».
C’est après cette interrogation que les portes du Temple s’ouvraient pour lui. Il apercevait la statue de la Déesse Cérès, resplendissante de beauté et entourée d’une éblouissante lumière.
Le candidat, qui s’était appelé jusque-là Myste ou novice, recevait le nom d’Epopte ou témoin oculaire, et on lui révélait la doctrine ésotérique.
Les travaux étaient fermés par une formule sanscrite : Konx om pax.
Pour montrer aux initiés la nécessité de se taire, on les impressionnait par la représentation du mal qu’ils auraient pu subir, s’ils parlaient. C’est cette partie de l’initiation qui comprend les épreuves. On les laissait dans l’obscurité, puis on leur faisait entendre des bruits terribles ressemblant au grondement du tonnerre, et qui devaient rappeler les formidables luttes qui s’étaient déchaînées entre les sexes ; au milieu d’éclairs aveuglants, on leur faisait apercevoir des spectres grimaçants représentant le principe du mal, Ahriman, l’homme pervers.
Des fantômes hideux, qui semblaient les menacer de mort prochaine, rappelaient les déments qui avaient attaqué, menacé la Femme dans la sainteté de son sexe.
Pour être admis aux Mystères, il fallait être d’âge mûr, la jeunesse n’ayant jamais su comprendre, et d’une conduite irréprochable.
D’abord les Grecs seuls étaient admis à l’initiation, mais bientôt cette condition disparut, et cinquante ans après leur institution on initiait aux Mystères les hommes de tous les pays.
On appelle Ides le milieu du mois lunaire, parce que les Mystères des Crétois se faisaient sur le mont Ida.
Idem est le même mot que idios. Tout cela est résumé dans le mot idée. On appelle Isis la Mère idéenne.
Les femmes célébraient leurs Mystères séparées des hommes, près de Cicyone, en un lieu appelé Pyraïa, où Cérès avait un bois sacré et un temple sous l’invocation de Cérès Présidente ou Prostasie.
Des temples appelés Pyrées étaient consacrés au culte du Feu sacré et immortel, ce qui nous fait savoir que c’était la grande religion exposée dans le livre sacré de l’Iran, le Zend AVesta, qui était enseignée dans les Mystères de la Grèce.
Rappelons que le Feu sacré est le symbole de l’Esprit saint représenté par la grande Déesse Vesta.
M. Hyde, l’auteur du livre Phapharhang gyihanghiri, parle de sept anciens Pyrées où on brûlait de l’encens en l’honneur des sept planètes, et où il y avait sept petites chapelles. Il nous dit qu’on allait dans la chapelle du soleil célébrer le soleil.
Ceci nous prouve que dans ces Mystères on expliquait les lois de la Cosmologie comme dans ceux de la Perse, mais l’auteur cité tombe dans la même erreur que les prêtres : quand il s’agit du ciel, il met des planètes à la place des sept forces cosmiques (les Elohim) qui sont les principes chimiques qui donnent leur couleur aux étoiles.
A Patras, en Achaïe, derrière le Temple de Cérés, était le Bois sacré, à côté d’une fontaine appelée « Fontaine de Vérité ».
Dans presque toutes les villes de la Grèce, il y avait des Temples dédiés à Cérès, où l’on célébrait les mêmes Mystères. Cette profusion de Temples peut être comparée aux nombreuses églises dédiées à la Vierge Marie.
Les Grecs n’oubliaient pas que leur civilisation remontait à l’institution des Mystères et qu’ils leur étaient redevables de l’affranchissement de la barbarie, que les ennemis de la gynécocratie voulaient leur imposer.
C’est aux Mystères qu’on devait l’ordre social. « Les Mystères, dit Aristide en parlant de ceux d’Éleusis, nous procurent des consolations et des moyens de nous délivrer du poids de nos maux ».
« Les Grecs pensaient que c’était Cérès qui les avaient retirés de la vie sauvage et grossière qu’ils menaient avant que son culte fût établi parmi eux, et que c’était elle qui en avait fait véritablement des hommes ». (Isocrate, in Panegyr. Aristid., Elen., cité par Dupuis, T. II, p. 6). C’est le Deus meumque Jus, Ordo ab Chao (que les modernes traduisent par Dieu et mon droit, l’ordre sort du chaos).
Les Phliassiens et les Phénéates célébraient aussi Cérès. Les Argiens prétendaient que leur ville était la première qui avait reçu Cérès. Ils célébraient tous les ans une fête en son honneur au printemps.
Les Argiens, parmi les autres pratiques en l’honneur de Cérès Pélasgique et de Proserpine, avaient la coutume de jeter des flambeaux allumés dans une fosse sombre (d’où la légende de la vérité cachée au fond d’un puits). Ce qui nous montre que les Mystères étaient des cérémonies commémoratives, expiatoires et symboliques.
Chez les Phénéates, en Arcadie, où on célébrait les Mystères de Cérès Eleusienne, tout près du Temple de la Déesse était ce qu’on appelait Pêtroma ; c’étaient deux pierres jointes ensemble qui renfermaient les Rituels sacrés de l’initiation. On les retirait pour les lire aux initiés, puis on les remettait précieusement dans ce lieu sacré.
Chez les Céléiens, on célébrait les Mystères de Cérès tous les quatre ans. L’Hiérophante n’y était pas perpétuel, il était renouvelé à l’époque de la célébration quadriennale.
C’est pour copier les Mystères que les masculinistes instituèrent les jeux olympiques, qui se célébraient tous les cinq ans ; de là le nom d’Olympiades. Dans la ville d’Elide, au Péloponnèse, ces jeux commencèrent l’an 776 avant notre ère.
Tout cela n’a effectivement rien à voir avec la parodie d’Alcibiade et de ses complices.
Cordialement.