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A propos du billet de J. Ph. Kempf du 21 avril 2015
Portrait de l’artiste, jeune homme
En cet après-midi d’octobre, la librairie de l’aéroport éclaboussait le passant de livres à faire fortune en un instant mais l’envers du décor réservait de réelles aubaines. J’y découvris «Portrait de l’artiste, jeune homme» de James Joyce. J’avais vu «Les gens de Dublin» au cinéma. J’avais tenté de lire Ulysse mais le pente avait été trop rude et j’avais dû descendre de la bicyclette de mes lunettes au bout de quelques dizaines de pages.
La narration des souvenirs de Joyce, alias Stephen Dedalus, dans son collège jésuite de Clongowes Wood en Irlande me parut plus abordable. Elle accompagnait aussi la mémoire de mon propre collège de Rouen. J’y retrouvais le même humus classique et la discipline romaine. Il y avait une différence cependant. La plupart des prêtres qui m’avaient enseigné avaient des fonctions paroissiales et étaient moins conditionnés par la discipline religieuse que ces maîtres jésuites confinés dans leur citadelle monastique. Le livre me passionnait mais je progressais difficilement dans la jungle sémantique de Joyce.
Au cours d’une longue journée dans un train birman, je parvins à la séquence du prêche du Père Arnall qui commence p.116 de l’édition Penguin Classics et se poursuit p.128 par une référence au texte de Giovanni Pietro Pinamonti : «L’enfer révélé aux chrétiens pour qu’ils évitent d’y entrer» (1688). Cet enfer est décrit en 18 pages serrées, avec un réalisme qui n’est pas sans évoquer les tortures de l’Inquisition, comme l’aboutissement inéluctable de la logique tourbillonnante du plongeon de l’âme dans le mal. A côté de l’enfer de Pinamonti, celui de Dante est une chronique mondaine. Suit le retour du jeune Joyce dans sa chambre, «le corps agité, frissonnant, accablé de lassitude et ruminant ses pensées».
Je me souvins alors d’un aveu du peintre Sergio Ferro qui me racontait son expérience au Collège São Luís de São Paulo : «Les Jésuites sont des professeurs de grande qualité mais ils ont enraciné en moi un sens de la culpabilité dont plusieurs analyses n’ont pu me guérir.»
La toile de Sergio est la feuille de papier de Joyce.
Bruno Autin